Richard Gaitet
—102 sons
Mona Chollet (2/3)
En 2017, dans le secret nocturne de son laboratoire, Mona Chollet jette dans son chaudron mental les ingrédients de la réhabilitation d’une figure populaire : la sorcière. Publié l’année suivante aux éditions La Découverte, son ouvrage « Sorcières : la puissance invaincue des femmes » se souvient de ces dizaines de milliers de féminicides perpétrés du XVe au XVIIe siècle, en Europe, qui visèrent principalement les célibataires sans enfant. Chollet interroge en profondeur ce « coup porté à toutes les velléités d’indépendance féminine », la « haine » des cheveux blancs, la criminalisation de la contraception et de l’avortement, en s’appuyant autant sur les romans de Toni Morrison que sur le film « Liaison fatale ». Elle y affine son geste : « J’écris pour faire émerger des sujets qui n’étaient parfois même pas identifiés, en affirmant leur pertinence, leur dignité. Je suis une aimable bourgeoise bien élevée et cela m’embarrasse de me faire remarquer. Je sors du rang quand je ne peux pas faire autrement, quand mes convictions et aspirations m’y obligent. J’écris pour me donner du courage. »
Abracadabra ! Le livre devient un grimoire de référence traduit en quinze langues et vendu à 380 000 exemplaires. Son nom se mue en incantation. D’où la nécessité d’interroger ses sortilèges, la structure de ses best-sellers qu’elle situe « entre le développement personnel et la politique », son usage des citations ou sa réticence au « terrain », en naviguant des podiums de « Beauté fatale » (sur les clichés véhiculés par l’industrie de la mode et la presse féminine, sorti en 2012 et vendu à 120 000 exemplaires) jusqu’à « Réinventer l’amour » (sur les impasses et les violences des relations hétérosexuelles, sorti en 2021 et vendu à 200 000 exemplaires), en passant par son petit préféré, « Chez soi » (sur « la sagesse des casaniers », sorti en 2015 et vendu à 65 000 exemplaires). Turlututu, chapeau pointu, n’attendons plus : envolons-nous sur le balai de cette sorcière bien-aimée, qui nettoie de nombreuses pensées poussiéreuses !
L’autrice du mois : Mona Chollet
Née à Genève en 1973, « obsédée par le fait de lire, de s’informer et de changer le monde », la journaliste suisse Mona Chollet est devenue pour toute une génération de féministes un modèle d’intelligence, de sensibilité et de précision. Depuis le début des années 2000, via une dizaine d’essais érudits (« Beauté fatale », « Sorcières », « Réinventer l’amour »), elle analyse remarquablement les mécanismes de domination (masculine, capitaliste, professionnelle – ou les trois à la fois), en partageant son admiration pour la poésie de Mahmoud Darwich ou la prose engagée de Susan Sontag, pour les séries « Mad Men » ou « La Fabuleuse Madame Maisel », le tout entremêlé de confidences personnelles ou tirées de son cercle d’amies. Elle vit et travaille à Paris.
Mona Chollet (3/3)
Cheffe d’édition au « Monde Diplomatique » de 2007 à 2022, Mona Chollet se décrit – avec euphémisme – comme « plutôt consciencieuse ». Interrogée par « Femme Actuelle », la journaliste explique : « L’aspect robotique du salariat me convenait très bien. Tout comme cette logique rassurante de l’effort récompensé : je me savais le droit de profiter de mes week-ends. » Or, quand le succès de ses livres lui permet de se libérer de cet emploi quotidien, c’est la panique à bord, sur laquelle s’ouvre son dernier essai, « Résister à la culpabilisation » (La Découverte, 2024). Ce « bulldozer » cérébral ajoute : « J’avais oublié l’autonomie. Je m’étais habituée à ce qu’on me dise tous les matins où aller, quoi faire et jusqu’à quelle heure. Organiser soi-même ses journées provoque un grand désarroi. Je me forçais à travailler huit heures par jour et le week-end, pour ne pas me laisser aller (…) Se tuer au travail, faire totalement abstraction de son bien-être, se révèle bien vu. »
Bien vu, son propos l’est aussi. Avec un premier tirage de 70 000 exemplaires, « le nouveau Mona Chollet », pour lequel elle refuse les invitations à parler en public, figure déjà parmi les dix meilleures ventes de l’automne. Son livre n’aborde pas seulement la question du sacrifice en entreprise ; parmi ce qu’elle recense comme des « empêchements d’exister », Chollet dissèque les discours misogynes, la mise en accusation des victimes de violences sexuelles, les injonctions éducatives, ou encore « le flicage des mots et des pensées » au sein des sphères militantes.
Suivie par 92 000 abonné·e·s sur X, Mona Chollet définit parfois son rapport à l’écriture comme « une drogue en soi, une porte dérobée dans l’horreur de l’époque ». Pour ce troisième et dernier épisode, ouvrons celle du petit bureau – monastique – de la Mona, qui continue de rêver d’une pièce plus grande « dont la fenêtre resterait éclairée jusqu’à une heure avancée de la nuit, pour y faire naître des livres ».
L’autrice du mois : Mona Chollet
Née à Genève en 1973, « obsédée par le fait de lire, de s’informer et de changer le monde », la journaliste suisse Mona Chollet est devenue pour toute une génération de féministes un modèle d’intelligence, de sensibilité et de précision. Depuis le début des années 2000, via une dizaine d’essais érudits (« Beauté fatale », « Sorcières », « Réinventer l’amour »), elle analyse remarquablement les mécanismes de domination (masculine, capitaliste, professionnelle – ou les trois à la fois), en partageant son admiration pour la poésie de Mahmoud Darwich ou la prose engagée de Susan Sontag, pour les séries « Mad Men » ou « La Fabuleuse Madame Maisel », le tout entremêlé de confidences personnelles ou tirées de son cercle d’amies. Elle vit et travaille à Paris.
Mona Chollet (1/3)
« J’écris pour y voir plus clair. Et, en fonction, changer mes comportements, ma perception, ma vie. » D’où proviennent les intuitions de Mona Chollet ? Comment « décantent » ses idées, comment « vagabonde » son imagination ? Quelle est sa dette envers l’écrivaine canadienne Nancy Huston ou l’essayiste française Annie Le Brun ? De quelle façon cette grande timide a-t-elle été « sauvée par internet » ?
Dans ce premier épisode du premier numéro de « Bookmakers » consacré aux essais, remontons aux origines de la prodige genevoise : son premier journal autoproduit, sa passion inattendue pour « Star Wars », son ennui à l’école du journalisme de Lille, son année à « Charlie Hebdo », la création décisive du site « Périphéries » ou son arrivée au « Monde Diplo ». Avant d’évoquer ses deux premiers ouvrages : « Marchands et citoyens », sur « les usages créatifs et désintéressés » du web (L’Atalante, 2001), et « La tyrannie de la réalité », sur notre besoin physiologique de rêve (Calmann-Lévy, 2004). Des essais qui restaient à transformer, déjà ornés du sourire de Mona, lisant.
L’autrice du mois : Mona Chollet
Née à Genève en 1973, « obsédée par le fait de lire, de s’informer et de changer le monde », la journaliste suisse Mona Chollet est devenue pour toute une génération de féministes un modèle d’intelligence, de sensibilité et de précision. Depuis le début des années 2000, via une dizaine d’essais érudits (« Beauté fatale », « Sorcières », « Réinventer l’amour »), elle analyse remarquablement les mécanismes de domination (masculine, capitaliste, professionnelle – ou les trois à la fois), en partageant son admiration pour la poésie de Mahmoud Darwich ou la prose engagée de Susan Sontag, pour les séries « Mad Men » ou « La Fabuleuse Madame Maisel », le tout entremêlé de confidences personnelles ou tirées de son cercle d’amies. Elle vit et travaille à Paris.
Pierre Michon (3/3)
Bookmakers #31 - L’auteur du mois : Pierre Michon
Né en 1945 dans un hameau de la Creuse, Pierre Michon se voit parfois comme « le dernier écrivain du XIXe siècle ». En 1984, il publie ses fameuses « Vies minuscules » aujourd’hui considéré comme un classique, départ d’une œuvre exigeante constituée d’une douzaine de livres brefs portés par son goût des histoires en costumes, où sont peints les malheurs de Van Gogh (« Vie de Joseph Roulin ») ou les « infimes effets » du génie de Rimbaud (« Rimbaud le fils »). Détail : parmi ses protagonistes, il y a toujours un Pierre, un Pierrot, un Piero, un Piotr – ou un Robes/Pierre, comme dans « Les Onze » (2009), récompensé du grand prix de l’Académie française.
En 2023, ses fans ont vu leurs joues rougir. Après quatorze ans de quasi-silence bibliographique, Pierre Michon a « scandaleusement dégainé » un nouveau livre, intitulé « La Petite Beune ». Un texte « érotomane » de 74 pages, suite directe d’un roman pas plus gros de 1995, « La Grande Beune ». Si vous avez manqué le début : en 1961, près de la grotte de Lascaux, un instituteur de 20 ans prénommé Pierre nourrit un désir terrible pour une buraliste de quinze ans son aînée, Yvonne, qui ressemble à Ava Gardner dans « La Comtesse aux pieds nus ». Publiées chez Verdier, « Les deux Beune » ainsi rassemblées se sont vendues à 25 000 exemplaires et firent, comme à l’époque de « Vies minuscules », la Une du « Monde des livres » qui parla de « miracle ».
Pour Michon, « construire une phrase est un dispositif de désir ». Pour nourrir le feu de ce troisième épisode, l’ami Pierrot évoque aussi bien « les chocolats métaphysiques » de Pessoa que ses relations avec ses éditeurs, tout en répondant à trois questions de sa jeune consœur Maria Pourchet. Et nous invite à méditer ce mantra fourré à la dynamite : « Pour écrire, il faut vouloir percer quelque mur, croire que prodigieusement les mots vont y entamer une brèche. » Hier comme aujourd’hui, le Mich’ allume la mèche.
Pierre Michon (2/3)
Le grand écrivain retourne dans les coulisses de l'immense succès de son roman « Vies minuscules ».
Pierre Michon (1/3)
Une rencontre dans la Creuse chez le grand romancier, auteur des « Vies minuscules », pour la rentrée littéraire.
Laura Vazquez (3/3)
Bookmakers #30 - L'autrice du mois : Laura Vazquez.
Née en 1986 à Perpignan, Laura Vazquez écrit des poèmes, parfois peuplés d’êtres minuscules et de corps endommagés, publiés en revues, qu’elle lit depuis le début des années 2010 sur la plupart des scènes poétiques de l’Hexagone, traduits en chinois, anglais, espagnol, portugais, norvégien, néerlandais ou arabe. Son premier roman, « La Semaine perpétuelle », sorti en 2021 aux éditions du sous-sol, est distingué d’une mention spéciale du prix Wepler et vendu à dix mille exemplaires. En 2023, elle obtient – à 36 ans – le Goncourt de la poésie pour « Le Livre du Large et du Long », une « épopée versifiée » de 400 pages, en cinq actes, écoulée à cinq mille exemplaires. Elle vit et travaille à Marseille.
Laura Vazquez (3/3)
Pour résumer « La Semaine perpétuelle », son premier roman, Laura Vazquez écrit : « On y trouve des fantômes, des insectes, des téléphones, beaucoup de pourriture, le corps mort d’un oiseau, des éponges, des personnes qui n’ont plus beaucoup de dents, de la crème, un veau qui pleure et qui s'endort, des rires du Moyen-âge, des enfants contre des murs, des chiens jumeaux, la douleur en personne, des moines dans la neige, des émojis qui rient aux larmes, des robots, des chansons, des pilules calmantes, parfois dieu, un peu de lumière, une fontaine, des croutes. »
Dédiée à son chat, cette « Semaine » dure effectivement une semaine – dans la vie de Salim, un adolescent cloitré dans sa chambre, qui poste des poèmes et disserte sur le monde en direct de sa chaîne YouTube, jusqu’au jour où son inquiétude pour sa grand-mère adorée le force à réintégrer la réalité. Sous ses vidéos, les commentaires s’enchaînent, comme les histoires de cette corne d’abondance de bizarrerie, où les images peuvent blesser, où toute chose possède un esprit.
Dans ce troisième et dernier épisode, nous évoquerons aussi l’énigme du « Livre du large et du long », où l’héroïne se coupe un doigt « pour parler à un ami » et pour lequel Laura n’a « pas été loin de perdre la boule » ; sa première pièce de théâtre, « Zéro », une « tragédie lesbienne » à paraître en novembre toujours aux éditions du sous-sol ; ou un autre ouvrage à venir aux éditions sun/sun, inspiré d’une photo du musée Albert-Kahn de Boulogne-Billancourt. Vaste est la Vazquez.
Laura Vazquez (2/3)
Entre 2014 et 2021, Laura Vazquez publie ses poèmes surréalistes dans de nombreuses revues, ou sous la forme de plaquettes aux titres étranges : « Défense et illustration de rien », « La vérité n’est pas un problème »...
Laura Vazquez (1/3)
Laura Vazquez écrit des poèmes, parfois peuplés d’êtres minuscules et de corps endommagés, publiés en revues, qu’elle lit depuis le début des années 2010 sur la plupart des scènes poétiques de l’Hexagone.
Nancy Huston (3/3)
Pendant vingt ans, Nancy Huston a écrit tous ses textes en français, sa langue d’adoption. Puis, l’intrépide Canadienne s’est remise à écrire directement dans sa langue maternelle, l’anglais, avant…
Nancy Huston (2/3)
Ce deuxième épisode déambule dans les collines de l’impressionnant corpus hustonien. Sont évoqués son premier roman, Les Variations Goldberg, Histoire d’Omaya, Cantique des plaines, Une Adoration, ou Francia.
Nancy Huston (1/3)
Née en 1953 à Calgary (Canada), Nancy Huston est l’autrice de plus de 70 livres depuis 1979, publiés pour la plupart aux éditions Actes Sud.
Wajdi Mouawad (3/3)
Bookmakers #28 - L'auteur du mois : Wajdi Mouawad
Né en 1968 près de Beyrouth, Wajdi Mouawad est l’un des dramaturges les plus joués du théâtre francophone, avec près de vingt-cinq pièces écrites et mises en scène par ses soins depuis le début des années 90, dont l’incontournable « Incendies » (2003), adaptée au cinéma par Denis Villeneuve. Traduits en vingt langues, co-édités par Actes Sud et la maison québécoise Léméac, ses drames familiaux, riches en apparitions surnaturelles autant qu’en engueulades réparatrices, sont montés au Japon, au Brésil, en Espagne, au Maroc, aux États-Unis, en Corée du Sud, en Argentine ou en Australie.
Récompensé par les plus hautes instances au Québec ou en Allemagne, il refuse poliment un Molière en 2005 pour souligner l’indifférence des grands théâtres à l’égard de la création contemporaine, tandis que l’Académie française lui remet en 2009 un prix pour l’ensemble de son œuvre. Depuis 2016, il dirige le théâtre national de La Colline, à Paris.
Wajdi Mouawad (3/3)
Outre ses propres textes, Wajdi Mouawad adapta sur scène, ces trente dernières années, « Macbeth » sur un parking de nuit, les épopées galactiques de la saga « Fondation » d’Isaac Asimov, les dépendances toxiques du roman « Trainspotting » d’Irvine Welsh ou l’intégrale des tragédies de Sophocle. Parallèlement, l’auteur de « Tous des oiseaux » arpenta en solitaire les territoires du roman. D’abord avec « Visage retrouvé » (2002), sur son enfance libanaise, vendu à 13 000 exemplaires. Puis avec « Anima » (2012), enquête américaine sur un meurtre raconté durant 500 pages du point de vue de dizaines d’animaux (canari, mouche, fourmi, cheval), écoulé à 82 000 exemplaires et sacré du grand prix de la Société des Gens De Lettres.
Mais quelles différences fait-il avec son écriture théâtrale ? Changer de forme, de support, est-ce la façon la plus simple de se renouveler ? Car le sujet le hante. En 2002, dans sa pièce intitulée « Rêves », le héros se faisait reprocher par le fantôme de Lautréamont de « toujours réécrire ce qu’il sait déjà écrire ». En 2005, en interview, Wajdi se demandait : « Comment ne pas être le touriste de sa propre création ? » En 2010, dans son livre « Le poisson-soi », il notait : « Je voudrais tellement ne plus avoir à dire Je. Ne plus m’occuper de rien. Que quelqu’un dise Il pour moi. Qu’on me débarrasse. » Comment renaître, artistiquement, sans se tuer ? C’est la question finale, ou presque, de ce troisième et dernier acte, dans lequel le directeur de La Colline évoque en détails la vie économique d’un auteur de théâtre, c’est-à-dire : la monnaie de ses pièces.
Wajdi Mouawad (2/3)
Bookmakers #28 - L'auteur du mois : Wajdi Mouawad
Né en 1968 près de Beyrouth, Wajdi Mouawad est l’un des dramaturges les plus joués du théâtre francophone, avec près de vingt-cinq pièces écrites et mises en scène par ses soins depuis le début des années 90, dont l’incontournable « Incendies » (2003), adaptée au cinéma par Denis Villeneuve. Traduits en vingt langues, co-édités par Actes Sud et la maison québécoise Léméac, ses drames familiaux, riches en apparitions surnaturelles autant qu’en engueulades réparatrices, sont montés au Japon, au Brésil, en Espagne, au Maroc, aux États-Unis, en Corée du Sud, en Argentine ou en Australie.
Récompensé par les plus hautes instances au Québec ou en Allemagne, il refuse poliment un Molière en 2005 pour souligner l’indifférence des grands théâtres à l’égard de la création contemporaine, tandis que l’Académie française lui remet en 2009 un prix pour l’ensemble de son œuvre. Depuis 2016, il dirige le théâtre national de La Colline, à Paris.
Wajdi Mouawad (2/3)
Rideau sur le chagrin. Les pièces de Wajdi Mouawad démarrent souvent par la mort. Celle de sa mère, que l’auteur perdit à 19 ans, dans « Mère » (2021). Celle de la grand-mère dans « Pacamambo », troublant spectacle pour enfants (2000). Celles des victimes de l’explosion du port de Beyrouth en 2020, qui ouvrait – en vidéo – les six heures de « Racine carrée du verbe être » (2022). Ou encore celle de l’inoubliable Nawal dans « Incendies », dont l’édition papier se vendit à plus de 100 000 exemplaires et dont Wajdi Mouawad raconte, ici, le brasier originel.
Comment écrire pour la scène ? Qu’apporte la troupe aux personnages ? À quoi sert une didascalie ? À quoi correspond l’état « d’hypnose » dans lequel il se met pour accoucher de ses monologues finaux ? C’est l’enjeu de notre acte deux, en compagnie d’un graphomane à lunettes qui déclara un jour : « La mise en scène, ça me gonfle. C’est compliqué, il faut gérer une chaise qui doit sortir et une chaise qui doit rentrer. C’est lourd, pénible. Si je trouvais un metteur en scène qui pouvait entrer dans ma tête pour monter mes pièces, je ne ferais plus de mise en scène. Mais je n’ai pas trouvé encore. Alors, à défaut, je les monte moi-même, mes pièces. Ce que j’aime, c’est raconter des histoires. »
Wajdi Mouawad (1/3)
Wajdi Mouawad, l’un des dramaturges les plus joués du théâtre francophone est dans Bookmakers.
André Markowicz (3/3)
Bookmakers #27 - L'auteur du mois : André Markowicz
Né à Prague en 1960, André Markowicz a traduit « tout » Dostoïevski, c’est-à-dire les romans et nouvelles en quarante-cinq volumes de l’auteur des « Frères Karamazov » (Actes Sud). Il est aussi, avec l’aide inestimable de Françoise Morvan, le traducteur du théâtre complet d’Anton Tchekhov ou de Nicolas Gogol. Ou encore l’oreille précieuse qui mit près de vingt-cinq ans à restituer les 6500 vers d’« Eugène Onéguine » d’Alexandre Pouchkine. Tout ceci, parmi plus de 150 ouvrages depuis 1981, traduits du russe, de l’anglais, du latin ou du breton, aux éditions Mesures, Inculte ou José Corti. Il vit et travaille à Rennes.
André Markowicz (3/3)
Un traducteur est un auteur. André Markowicz le prouve chaque jour depuis quarante ans, d’un pays à l’autre, d’une forme à l’autre – y compris quand il s’échine à chercher le ton juste d’un personnage… dans une simple blague juive. Parmi les cent cinquante livres que compte sa bibliographie, on lui doit 14 pièces de Shakespeare aux éditions Les Solitaires Intempestifs, 401 poèmes chinois du VIIIe siècle (dans son chantier le plus fou : « Ombres de Chine », aux éditions Inculte) ou encore une nouvelle version du chef-d’œuvre de Mikhail Boulgakov, « Le Maître et Marguerite », traduit avec Françoise Morvan, toujours aux éditions Inculte – ce qu’il décrit parfois comme « l’aboutissement de tout son travail de traducteur de la littérature russe ».
Mais ces ouvrages, composés avec la même fièvre de partage, ne doivent pas occulter les milliers de pages signées par Markowicz en solo. Ce maître en métrique est l’auteur de quatre recueils de poèmes quasi confidentiels (« Figures », « Herem »), d’un récit autobiographique en vers et sans point, à lire d’un seul souffle, sur l’appartement de sa grand-mère (« L’Appartement », Inculte). D’un sidérant journal public tenu depuis dix ans sur Facebook, à raison d’une chronique tous les deux jours, matière première des épais volumes de sa série « Partages » qui paraît maintenant chez Mesures, maison d’édition indépendante qu’il a créée avec Françoise Morvan. Ou récemment d’un tout petit essai géopolitique et littéraire, intitulé « Et si l’Ukraine libérait la Russie ? » (Le Seuil), vendu à dix mille exemplaires.
Tels sont certains des sujets évoqués dans la toundra de ce troisième et dernier épisode, en compagnie d’un homme qui s’est longtemps senti « gêné, comme empêché d’écrire ». Un créateur qui ne traduit que des morts. Et qui, étrangement, ne semble pas plus inquiet que ça face à l’invasion des intelligences artificielles. Auquel on ne peut que souhaiter, en citant sa traduction du tout dernier poème de Vladimir Maïakovski, qu’il n’ait jamais « la honte de devenir raisonnable ».
André Markowicz (2/3)
Bookmakers #27 - L'auteur du mois : André Markowicz
Né à Prague en 1960, André Markowicz a traduit « tout » Dostoïevski, c’est-à-dire les romans et nouvelles en quarante-cinq volumes de l’auteur des « Frères Karamazov » (Actes Sud). Il est aussi, avec l’aide inestimable de Françoise Morvan, le traducteur du théâtre complet d’Anton Tchekhov ou de Nicolas Gogol. Ou encore l’oreille précieuse qui mit près de vingt-cinq ans à restituer les 6500 vers d’« Eugène Onéguine » d’Alexandre Pouchkine. Tout ceci, parmi plus de 150 ouvrages depuis 1981, traduits du russe, de l’anglais, du latin ou du breton, aux éditions Mesures, Inculte ou José Corti. Il vit et travaille à Rennes.
André Markowicz (2/3)
Un jour, la mère d’André Markowicz, professeure de littérature russe, ouvre une traduction française de « L'Idiot » de Dostoïevski. Dans la scène d’anniversaire où le piètre fonctionnaire Lebedev délire à bloc en voyant de l'argent jeté au feu, elle ne reconnaît pas le texte original. Les trois autres traductions qu’elle emprunte ne respectent pas non plus, diable, les flammes initiales ; toutes s'acharnent à rendre cohérentes les invraisemblances du personnage déboussolé.
Le jeune André n’oubliera pas cette anecdote. En 1990, dans le métro, face à Hubert Nyssen, fondateur des éditions Actes Sud, pour lequel il vient de servir d’interprète, Markowicz suggère de retraduire Dostoïevski. Au motif que les précédentes traductions ont trop policé le style – bien qu’elles aient permis, reconnaît-il, à Proust ou à Gide de s’engouffrer dans la prose possédée de l’auteur des « Carnets du sous-sol ». Trêve d’élégance excessive à la française : l’oralité furieuse de Dostoïevski sera célébrée avec force répétitions et maladresses de syntaxe, n’en déplaise aux puristes. Trois ans plus tard, sur France 3, André Markowicz explique honorer ainsi une écriture qui existe « en dépit de toutes les règles, en faisant tout pour ne pas faire un roman français, ne pas écrire comme un marquis, mais avec un débordement de passion, une langue en fusion, sans aucune norme, à part celle que l’on crée, là, sur-le-champ ». Ses adversaires questionnent sa légitimité, parce qu’André n’est pas universitaire. On le voit pourtant – c’est rare, pour un traducteur – dans « Paris-Match » ; avec, sur la page d’en face, le mannequin Claudia Schiffer dans sa baignoire. Puis « L’Obs » lui consacre trois pages où se querellent anciens et modernes, en parlant de « véhémence emberlificotée » à propos de sa version de « L’Idiot ». Markowicz se confie au « Monde » : « Voilà une chose que j’ai réussie, au moins : qu’on remarque que le bouquin est traduit. »
Ce rigoureux russophone est donc de ceux qui, comme dans « Crime et châtiment », ont « le don ou le talent de dire une parole nouvelle ». Cela marche aussi au théâtre : André Markowicz a participé à plus d’une centaine de mises en scène de ses traductions cosignées avec Françoise Morvan, en France, au Québec, en Belgique ou en Suisse, remaniant souvent le texte à l’épreuve du plateau. Hubert Nyssen disait de lui : « J'ai rarement vu quelqu'un qui s'intéresse autant à la mise en bouche d'un texte. ». Dans ce deuxième épisode, laissons de nouveau sa voix nous guider.
André Markowicz (1/3)
André Markowicz, le traducteur de « tout » Dostoïevski est dans Bookmakers.